Le chemin neutre

LE CHEMIN NEUTRE

Siegfried semblait assommé. Les « non » résonnaient dans sa tête comme autant de coups de poignard dans le cœur. Il regardait le dos de Brunehilde, qui n’avait pas esquissé le moindre mouvement. Les mots ne venaient pas et pourtant il ressentait le besoin de rompre le silence. Sa tentative échoua dans un bégaiement lamentable – un cœur brisé laisse peu de place à la parole. Après quelques secondes qui semblèrent une éternité, il parvint seulement à produire deux mots : « je comprends ».

De bien tristes mots qui ne voulaient guère dire grand-chose. Que comprenait-il finalement ? Qu’il n’était pas assez beau ? Qu’il n’était pas assez grand ? Qu’ils étaient trop jeunes ou sots pour se marier maintenant ?

Cette fois cependant, les mots résonnèrent à l’oreille de la jeune fille. Sans se retourner, elle redressa la tête et dans un murmure porta l’estocade : « pauvre idiot » dit-elle avant de s’enfuir, piétinant les fleurs d’ambroisie dans sa course. Elle disparut au loin, laissant Siegfried abattu au point d’en tomber sur les genoux. Jamais il ne se demanda ce que ces mots pouvaient vouloir dire, les sous-entendus qui pouvaient s’y cacher. Il n’entendait que le rejet pur et simple et voyait son cœur en charpie, piétiné comme les fleurs devant lui.

Au loin, un éclair noir illumina le ciel et Siegfried y vit un symbole de la tristesse qui l’envahissait mais aussi de la nécessité d’aller de l’avant. L’éclair noir lui rappela l’éclair des rois et donc l’examen qu’il devait passer quelques heures plus tard. Avant de faire demi-tour pour s’en retourner au village, il contempla une dernière fois la plaine calme aux fleurs d’ambroisie dont le charme et la douceur ne parvenaient plus à l’atteindre. « Il faut bien peu de choses pour transformer le paradis en enfer… » pensa-t-il. Au loin sur la colline, le berger Shepherd lui fit un signe de la main pour le saluer, mais Siegfried n’y prêta guère attention.

Quelques heures plus tard, il se rendit au colisée ou l’examen d’entrée des guerriers du roi devait se dérouler. Sur le chemin il croisa deux de ses concurrents, Nawfel et Haykel, qu’il connaissait depuis son enfance, bien qu’ils ne fussent pas du même monde. Chaque année, un seul des participants pouvait remporter le tournoi, ce qui créait une certaine animosité. Ces deux-là avaient du sang noble et n’appréciaient pas que le sang impur aspirât à devenir chevalier du roi. Nawfel était très grand et coiffé d’une longue natte. Il portait des habits amples afin de masquer l’origine de ses coups quand il portait une attaque. Haykel était plus petit et vif, privilégiant les coups peu puissants mais rapides et finement placés. Les cheveux lui tombaient sur les yeux, rendant difficile de fixer son regard pour savoir où il allait placer son attaque.

– Qu’est-il arrivé au fabuleux Siegfried ? ironisa Nawfel. Tu me sembles bien abattu avant même le début des épreuves. Cet entrain dont tu es si fier, cette arrogance à toujours penser que tu es le meilleur, où sont-ils donc passés ? Je ne les perçois guère dans cette démarche hésitante et dans ce port de tête bien bas.
– Aurait-il donc compris que face à nous, ses chances de victoire équivalaient à celles d’un moucheron voulant vaincre un lion ? demanda Haykel.
– Il y aurait bien à dire sur les lions et les moucherons, quelque fable pourrait vous l’enseigner ! répondit Siegfried, reprenant un peu ses esprits.
– Montre-nous donc cette épée dont tu es si fier, si tes mots valent mieux que du vent ! rétorqua Nawfel en dégainant son épée.

Haykel dégaina lui aussi. Leurs épées étaient magnifiques, forgées dans un acier solide et élégant, mais elles n’émettaient pas de lumière comme Lumina. Ils s’élancèrent vers Siegfried, le forçant à dégainer pour parer les coups. Devant le triste spectacle qui se présenta à eux, ils s’arrêtèrent aussitôt, car l’épée qui habituellement brillait de mille feux ressemblait désormais à un pathétique morceau de ferraille rouillée.

– Haha ! ricana Haykel. Qu’est-il donc arrivé à ton épée, si pompeusement baptisée Lumina ?
– Le nom de Toupourrie lui rendrait bien mieux grâce, renchérit Nawfel. Il est bien inutile de t’attaquer maintenant, ton arme ne ferait mieux que de tomber en miettes. Nous te laissons te rendre à l’examen où tu recevras l’humiliation que tu mérites. Tenter de lancer l’éclair des rois à partir d’une lame si vile, cela aura le mérite de faire rire le jury.

Ils s’en allèrent en riant, laissant Siegfried perplexe devant le bout de ferraille qui avait perdu tout son éclat. Cette épée, qu’il avait reçu enfant des mains d’un voyageur égaré à qui il avait porté secours, avait toujours été le reflet de son âme et de sa détermination. Comme ils devaient être tristes à voir à présent si cette lame honteuse en était le reflet ! Un guerrier du roi ne devait pas se laisser abattre par quelque chose d’aussi insignifiant que l’amour, voilà ce dont il essayait de se convaincre. Il rangea Lumina dans son fourreau, bien décidé à réussir l’examen et à remporter le tournoi.

Il avança vers le colisée. C’était la plus grande structure des environs et le premier loisir des habitants de la région qui se pressaient pour voir les cirques, les artistes, ou les combats de gladiateurs. L’examen d’entrée à l’académie des guerriers du roi était également très prisé, et la foule se bousculait pour franchir les portes et assister, peut-être, aux premiers pas des futurs protecteurs du royaume. Des aigles survolaient en permanence le bâtiment, lui conférant une aura impériale, mais surtout une force bestiale renforcée par les fortes odeurs de sueur et de sang.

Siegfried s’avança vers le côté où se trouvait l’entrée réservée aux candidats. Il vint s’annoncer à l’accueil et signa un formulaire de participation. C’est à ce moment qu’il croisa une jolie jeune femme qui lui fit un sourire aussi innocent que charmeur. Un sourire peut changer la vie et l’on regrette qu’une chose si simple à donner le soit si peu souvent. C’est parfois ainsi qu’un nouveau cycle peut commencer ou prendre fin.

  • Siegfried poursuit sa route, concentré sur son examen : le chemin du désespoir
  • Siegfried sourit également à la jeune fille : le chemin du nouvel amour

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Le livre Les légendes de Sanéterre

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